paru dans "Sport et Plein Air", N°611, juin-juillet 2017
L’escalade est devenue aujourd’hui une des activités les plus dynamiques au sein de la FSGT. Ce succès n’est pourtant pas le fruit d’un simple effet de mode. La Fédération a été non seulement pionnière dans sa démocratisation en France, mais elle a également contribué à y développer un modèle spécifique, en s’appuyant sur ses qualités historiques : vie associative et sens de l’innovation. Cette aventure méconnue est racontée dans la première partie du documentaire Des montagnes dans nos villes, réalisé par Damien Vernet et Jo B, deux adhérents du club parisien Roc 14, (la seconde va être bientôt lancée, lire «Financement participatif» ci-dessous), qui donne enfin la parole à certains des acteurs clés. Nous vous en proposons un avant-goût, interventions extraites de ce film émouvant, professionnel mais 100% associatif qui touchera bien au-delà de la grimpe le public intéréssé par l'aventure du sport populaire, en espérant que vous puissiez bientôt le découvrir de vos propres yeux ! # Compilation réalisée par Nicolas Kssis
En savoir + : http://desmontagnesdansnosvilles.frama.site
L’ambition de rendre la montagne accessible à tous et toutes n’est pas récente au sein de la FSGT. Elle remonte à 1934, à sa fondation, avec la création du Groupe alpin populaire «Il fallait que les travailleurs, la classe ouvrière, puissent s’adonner au sport, profiter de la vie», rappelle Louis Louvel, de l’Union sportive d'Ivry (USI) depuis 1955, «certains ont eu l’idée de se lancer dans l’alpinisme populaire, qui était un peu la cerise sur le gâteau.» Ce rêve se prolongera après-guerre, notamment par ceux qui purent profiter des premiers séjours en montagne organisés par les clubs FSGT. Michel Coquard de l’USI se souvient avec émotion : «J’ai fait mon premier sommet à onze ans dans les Pyrénées, un camp de 70 jours. J’ai pleuré de quitter la montagne. Cet amour de la montagne et des activités liées m’a procuré une telle de joie que je me suis dit que que ce serait fantastique que tous les enfants puissent y goûter.» La montagne sera dès lors un combat aussi bien politique que sportif. «Je me rappelle de la tour d’escalade installée à la Fête de l'Humanité dans les années cinquante», précise Louis Louvel, «l'’idée était de rendre visible au peuple qu’il existait un alpinisme populaire. Un premier mai nous nous sommes même promenés avec une banderole qui disait "à la FSGT l’alpinisme est un sport populaire". "Est", pas "sera"…»
Or, progressivement, cet objectif premier d’un alpinisme populaire va être supplanté par la vérité du terrain : l’essor de l’escalade. «À l’époque la conception principale de l’escalade consistait d’abord dans un entrainement à l’alpinisme qui nécessitait donc un certain degré d’engagement et de prise de risque bien plus grands qu’aujourd’hui dans les falaises françaises», détaille Gilles Rotillon du Club de Sainte-Geneviève-des-Bois (91). L’escalade n’existait donc pas encore vraiment en tant que telle. «Dans les journaux de l’époque les grimpeurs sont représentés à Fontainebleau avec des culottes de montagne et éventuellement avec leurs grosses chaussures de montagne», prolonge Louis Louvel, «cependant la pratique réelle, c’était l’escalade même si officiellement l’alpinisme restait le but.» C’est à ce moment que les valeurs de la FSGT vont jouer un rôle décisif. «On en était encore aux méthodes syllabiques des "trois points d’appuis" (1)», continue Louis Louvel, «comme si les personnes ne le savaient pas déjà. C’était cela l’idéologie majoritaire dans l’escalade avant 68. Nous étions convaincus au contraire qu’il fallait une pratique autonome et responsable des gens qui grimpent, que ce soit en montagne ou à Fontainebleau. Il a fallu surmonter l’hostilité du milieu, voire de certains de nos adhérents qui souscrivaient au discours dominant.»
Une première brèche va apparaitre quand les militants de la FSGT décident d’élargir la pratique de bloc (2) aux enfants, à partir de 1974, avec la création des circuits blancs à Fontainebleau. «L’objectif n’était plus de former de futurs alpinistes mais, au travers d’une activité, de participer à l’épanouissement de l’enfant, de l’amener à s’exprimer», raconte Michel Coquard. «Il devait exister 150 circuits, aucun pour enfants. Tu en voyais qui grimpaient avec papa et maman, qui les aidaient en poussant en bas ou tirant en haut. Nous voulions encourager une pratique autonome des petits. Nous avons dessiné ce premier circuit avec les enfants eux-mêmes. Il fallait aussi tenir compte de l’âge, de la dangerosité, mettre les difficultés en bas. Des dessins de l’époque le montrent très bien, l’essence de cette activité, où les enfants grimpent entre eux, se parent mutuellement. Ensuite je me suis efforcé de diffuser les moyens de création d’un circuit blanc. Je n’ai pas gardé le mode d’emploi pour moi ou la FSGT, je l’ai divulgué largement.»
Cette volonté progressive d’affirmer une escalade «en soi» et accessible à tou-tes rencontre de nombreuses résistances, notamment révélées par le projet alternatif d’aménagement de la falaise de Haute-Roche, en Côte-d’Or. «Le projet de Hauteroche résulte de notre désir de faire grimper tout le monde, en tête et de façon autonome», précise Gilles Rotilon, «il faut se rappeler le contexte, les falaises n’étaient pas équipées pour les niveaux faciles, il existait 5 ou 6 mètres entre les clous. Quand, dans le Dijonnais, nous avons commencé à équiper des petites voies de dix ou quinze mètres, les grimpeurs expérimentés qui passaient derrière arrachaient les pitons, on a presque assisté à des bagarres.» La solution qui s’impose est finalement celle de l’autogestion. Et ce sera l’équipement de ladite falaise qui abouti en 1977 : «Nos copains de Dijon nous avaient trouvé une falaise vierge, 1 km de long 40 m de haut. Au début c’était un peu anarchique, chacun traçait les voies dont il avait envie, et la voie était validée quand elle était grimpée. Après, nous avons été plus systématiques, pour combler tout le monde. Une falaise, dans notre approche, c’était d’abord les voies faciles. Après nous avons sorti le petit fascicule Falaises à l’aise pour propager la démarche [parallèlement à la publication de ce mémento, plusieurs rassemblements et stages d'équipeurs bénévoles ont été organisés, ndlr]. C’était la généralisation d’Hauteroche comme manière de concevoir une falaise de grimpe avec de nombreuses voies faciles. Maintenant, je constate que, dans le monde entier, c’est presque devenu la norme.»
Le processus de démocratisation est lancé. Toutefois, il reste forcément limité à celles et ceux qui peuvent se déplacer vers les sites. Il s’impose de trouver un moyen de dépasser cet obstacle. C’est là que les murs artificiels d’escalade vont changer la donne. «L’idée des murs s’avère d’amener les falaises dans les villes», souligne Yves Renoux, militant FSGT et, alors, professeur d’EPS,«on transporte la montagne dans la ville pour la rendre plus vivable. Il faut que l’art de grimper, la jubilation de grimper, la responsabilité de grimper soient éprouvés par le plus grand nombre d’individus parce que cela aide à construire un être humain.» Il y aura comme souvent une avant-première, un test grandeur nature. Et ce sera de nouveau lors de la Fête de l’Humanité : «En 1981, la FSGT s’est de nouveau investi dans la Fête de l’Huma», précise Gilles Rotillon, «on s’est dit qu’il fallait de l’escalade. Nous avons abandonné l’idée de la tour de 25 m de haut. Il fallait quinze jours pour la monter, une semaine pour le démontage. Impossible de continuer de la sorte. Cela ne correspondait plus de toute façon à ce qu’on voulait accomplir. Nous avons décidé d’importer ce que nous vivions à Fontainebleau avec les circuits jaunes pour les débutants. Dans ce but nous nous sommes dit que nous allions fabriquer des blocs, en bois avec des prises. Un copain architecte, Jean-Marc Blanche, en a dessiné les plans. Cela a tout de suite fonctionné auprès du public de la Fête.» Et cela s'est prolongé des années notamment lors des rassemblements du sport et/ou de l'escalade populaire à la Courneuve (93).
La graine est semée. Le mur d’escalade permettra de rapprocher l’activité d’une population massivement urbaine. Et l’expérience menée au lycée de Corbeil-Essonnes en 1982 servira quelque part d’aiguillon. «Ce mur a été réalisé par l’ équipe pédagogique d’EPS qui possédait déjà un ADN de démarche autogestionnaire et d’innovations depuis sa création en 1959», explique Yves Renoux, «j’ai puisé l’idée du mur au cours d’une réunion FSGT où fut suggéré cet équipement pour démocratiser l’escalade. Nous l’avons créé nous-même. Une sorte de communauté s’est instaurée pour cela au sein de l’établissement avec les élèves de l’AS, les profs, notamment du technique… Il fallut sortir les burins, les marteaux piqueurs et les bétonneuses. C’était assez jouissif comme étape. C’était important pour nous qu’il s’agisse d’une autoconstruction, en particulier pour éviter que le marché s’empare tout de suite des murs d’escalade, et que cette discipline ne suive le chemin du tennis ou du fitness. C’était certes une élite, celle de l’AS qui était impliquée initialement, c’était ensuite très réconfortant de la voir travailler pour la masse, pour enrichir le patrimoine commun, pour les milliers d’élèves qui en ont profité après.»
À l’outil des murs d’escalade, il manquait un vecteur humain. Ce sera la vie associative FSGT, et le besoin aussi de défendre sa reconnaissance par les pouvoirs publics, l’éternel combat. Nous sommes au tournant des années 2000.
«Les villes ont commencé à créer des murs d’escalade pour suivre l’effet de mode à un moment charnière où l’escalade est devenue commercialement intéressante», explique Daniel Vaubaillon, militant de l'USI puis de Grimpe 13, «Paris le fit avec un peu de retard. J’ai eu l’information pour le 13e arrondissement de Paris. Avec des copains d’Ivry (ville voisine) nous avons décidé de tenter le coup et de monter une association locale, avec au départ le soutien de l’USI, tant au niveau matériel qu’en terme de formation. Nous avons aussi profité du changement de majorité municipale pour faire pression et obtenir l’extension du mur. Ce qui était significatif, c’est que le projet était porté par l’ensemble des adhérents du club. Pour Roc 14, d’autres organisations notamment l’UCPA, étaient sur les rangs. On a réussi a convaincre la mairie que le meilleur projet demeurait celui qui reposait sur une base associative. Les clubs parisiens ont embrayé sur cette logique initiale de Grimpe 13 ou Roc 14. Cette dimension associative et coopérative est essentielle. Par exemple allez grimper chez le voisin ne se résume pas seulement à découvrir un autre mur, c’est également l’occasion de discuter avec des gens, de tisser des liens entre grimpeurs ou avec le personnel de la ville. Cela dépasse la seule gymnastique verticale.»
Et aujourd'hui ? «La question n’est pas nouvelle», remarque Daniel Vaubaillon, «le Groupe alpin populaire voulait déjà permettre aux travailleurs de découvrir l’alpinisme. Avec les murs d’escalade on prolonge aujourd’hui ce projet d’accessibilité de ce type de pratiques à l’ensemble des catégories sociales.» #
(*) Slogan de la FSGT montagne-escalade dans les années 1970 prenant au sérieux, mais à rebours, la boutade de l’humoriste Alphonse Allais qui proposait à quelqu’un qui se plaignait du bruit et de la pollution des villes «la solution serait de mettre les villes à la campagne».
(1) Méthode consistant à contraindre le/la grimpeur-euse à l’apprentissage obligatoire d’avoir au moins trois prises (deux mains ou un pied, deux pieds et une main) pour progresser, contrairement aux nouvelles pédagogies qui le/la laisse le découvrir par lui/elle-même.
(2) Rocher ou structure artificielle dont la hauteur, 3 à 7 mètres en moyenne, n’impose pas l’utilisation d’une corde d’assurage pour envisager de le grimper. Le risque de chute est apprécié par le/la grimpeur/euse en fonction de ses capacités physiques, de son niveau et de sa marge d’erreur. Source : Escalades pour tous, bloc, mur, falaise, grande voie, «glossaire», Les Cahiers du sport populaire éd. 2017.
Financement participatif |
Des montagnes dans nos villes, 2nde partie |
L'escalade est aujourd’hui «tendance», et on voit nombre de centres sportifs proposer une grimpe à portée de main. Mais, en parallèle à ces «boites privées» qui tiennent plus d’un business model et d’une «clientélisation» des grimpeurs/euses, des associations et organisations comme la FSGT réussissent à proposer une aventure en partage qui va bien au-delà de la consommation. C’est le sujet de la seconde partie du documentaire Des montagnes dans nos villes. Grâce à nos ainés, nous avons aujourd’hui la possibilité de pratiquer l’escalade dans un contexte associatif qui ouvre à une créativité sociale et culturelle foisonnante. Ils nous ont transmis une idéologie et des valeurs fortes qui sont toujours présentes au sein de nos clubs. Avec comme objectif premier de ne pas discriminer l’autre, que ce soit par son origine sociale ou encore par sa capacité à performer dans la discipline. Et avec ce questionnement en tête : comment former des pratiquants autonomes, engagés et responsables ? Pour la réalisation militante de cette seconde partie, qui partagera notre passion d'innovations sociales étonnantes, nous cherchons à collecter un budget de 15 000 euros afin de garantir une qualité professionnelle à ce nouveau film. Pour nous soutenir, rendez-vous sur helloasso.com > «Des montagnes dans nos villes». # |
Avec cette oeuvre d'une
sensibilité artistique et
politique singulière, les
auteurs, Damien Vernet
et Joël B, adhérents de
Roc 14, sont des
passeurs de mémoire,
d'énergie, d'espoir et
d'engagement entre les
générations qui vont des
pionniers du XXe siècle
aux «créatifs militants»
de «l'escalade pour toutes
» au XXIe. Soutenons-les,
mobilisons-nous pour
réaliser la seconde
partie d'une oeuvre qui
témoigne de notre
histoire en marche. Lire
ci-dessus.
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2017-SPA611-le-long-combat-de-l-escalade-populaire.pdf | 1.96 Mo |