Suite à un accident intervenu en 2010 sur un site d’escalade de la commune de Vingrau, la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME) a subi une très lourde condamnation financière. Quelles sont les conséquences juridiques de cette décision ? # Par Thomas Fontenelle
Affaire Vingrau et ses conséquences
QUELLES CONVENTIONS D'USAGE DES SITES NATURELS ?
SPORT ET PLEIN AIR # n°611 # Juin juillet 2017
Le 7 avril 2016, le Tribunal de grande instance de Toulouse condamnait la FFME et son assureur à verser la somme de 1,2 million d’euros aux victimes d’un accident grave (chute d’un bloc) survenu sur un site naturel d’escalade situé dans la commune de Vingrau. La Fédération a été reconnue entièrement responsable sur la base de l’ancien article 1384 alinéa 1erdu Code civil (responsabilité du fait des choses désormais codifiées à l’article 1242 du nouveau Code civil - voir encadré). Cette décision interroge non seulement sur les implications qu’elle pourrait engendrer sur la pratique de l’escalade en milieu naturel avec des éventuelles incidences sur les conventionnements des sites et sur le montant des contrats d’assurance et, plus généralement, sur la responsabilité civile en matière sportive.
L’escalade sur sites naturels menacée ?
Rappel des faits : au mois d’avril 2010, un guide de haute montagne et sa compagne grimpaient une voie sur une falaise appartenant à la commune de Vingrau, lorsqu’un bloc de pierre s’est détaché de la paroi. Cette accident a entraîné de graves blessures pour les deux personnes.
Dans notre affaire, la FFME avait passé une convention d’usage avec la commune de Vingrau, propriétaire de la falaise. Ce faisant, elle en assumait la garde juridique et la responsabilité qui en découlait.
En matière de convention d’usage des sites naturels d’escalade c’est précisément ce transfert de responsabilité qui permet de rassurer le propriétaire qui, en contrepartie, met son terrain à disposition des grimpeurs.
Les conventions des sites naturels d’escalade se sont ainsi multipliées ces trente dernières années, permettant un développement sans précédent de la pratique de l’escalade en milieu naturel.
Comme le démontre l’affaire Vingrau, ce type de convention n’est toutefois pas sans risques juridiques. En l’espèce, la FFME en tant que gardienne du bloc de pierre qui s’est détaché de la falaise qui a entraîné le dommage, a été jugée responsable de plein droit (sans faute), les causes exonératoires (force majeure et faute de la victime) ayant été écartées par le juge.
Le régime de responsabilité sans faute
Ce régime de responsabilité sans faute invite à s’interroger sur le rôle de la FFME dans cette affaire et, plus généralement sur la mise en œuvre des conventions d’usage. En effet, il était difficile pour la Fédération de prévoir ce type de risque. Le détachement de bloc de pierre est somme toute aléatoire et le juge aurait pu considérer qu’il s’agissait d’un événement imprévisible et irrésistible constituant un cas de force majeure (qui aurait exonéré la FFME de sa responsabilité).
Si les conventions des sites naturels d’escalade, en favorisant l’équipement et l’entretien des falaises, permettent de réduire au maximum les dangers inhérents à la pratique de l’escalade, le risque zéro n’existe pas. Comme le précise Gilles Rotillon, auteur de La leçon d'Aristote sur l'alpinisme et l'escalade (éd. du Fournel) dans un récent texte, «il y a le risque que les conventions deviennent de fait un label de sécurité que les juges vont avoir tendance à interpréter comme une garantie d’absence de risque». Ce phénomène entraînerait à coup sûr un déconventionnement de nombreuses falaises jugées trop dangereuses et «l’escalade peut être la grande perdante de cette opération». Par ailleurs, la décision du TGI appelle à se questionner sur la couverture de la pratique de l’escalade en milieux naturels par les assurances. On peut légitimement penser qu’avec ce type de décisions, les assureurs vont augmenter les montants de leurs contrats de responsabilité civile ce qui, in fine, pèsera sur le coût de la pratique.
Ne serait-il pas temps de réhabiliter la théorie de l’acceptation des risques ?
Tout-e grimpeur/euse en conviendra aisément, l’escalade comprend des risques inhérents à la pratique qu’il est nécessaire d’accepter afin de s’y adonner. Ce qui est vrai pour l’escalade s’applique d’ailleurs à toutes les activités physiques et sportives.Pendant un temps, les juges avaient pris cette donnée en considération en consacrant la théorie de l’acceptation des risques sportifs. Cette théorie était utilisée afin d’écarter l’application de la responsabilité de plein droit du fait des choses (article 1242). La victime avait dès lors l’obligation de prouver la faute de l’auteur du dommage. Ainsi, dans l’affaire qui nous occupe, la victime aurait eu à prouver que le détachement du bloc de pierre était la conséquence d’une faute directe ou indirecte de la FFME.
Depuis un arrêt de principe de la Cour de cassation de 2010 cette théorie a été enterrée, et le/la gardien-ne de la chose ne peut plus s’exonérer de sa responsabilité en opposant à la victime son acceptation des risques. Alors qu’une réforme législative de la responsabilité civile est actuellement en cours de préparation, le mouvement sportif souhaite que le législateur consacre légalement la théorie de l’acceptation des risques. Au mois de juillet 2016, le CNOSF (Comité national olympique et sportif) a interpellé le ministère des Sports en ce sens. Prendre en compte l’acceptation des risques reviendrait à reconnaître la spécificité de l’activité sportive et la nécessaire responsabilisation du/de la pratiquant-e. #
RESPONSABILITÉ DU FAIT DES CHOSES |
La responsabilité du fait des choses est la situation dans laquelle un individu (ou une personne morale) engage sa responsabilité délictuelle à la suite d’une préjudice qu’il aurait causé par le biais d’une chose qu’il a sous sa garde. Cette responsabilité est codifiée à l’article 1242 du nouveau Code civil. Cette responsabilité est de plein droit, à partir du moment où la chose cause un dommage la responsabilité du gardien est engagée, même si aucune faute n’a été commise. Le gardien pourra toutefois s’exonérer de sa responsabilité en cas de force majeure ou du fait du comportement de la victime. |
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